Un système parlementaire à la botte du patronat ?

Le processus législatif d’adoption de la loi Grandguillaume nous montre la faiblesse d’un système parlementaire qui semble être au service des puissants contre les faibles, des grands contre les petits. Attention, il ne s’agit pas de dire que le député Grandguillaume n’a pas fait son travail. Car même si la CGT-Taxis n’est pas d’accord sur tout avec le député, force est de constater qu’il n’a pas ménagé ses efforts. Nous savons qu’il a reçu tous les acteurs du secteur et également beaucoup de chauffeurs non syndiqués. C’est tout à son honneur car c’est là le premier malaise constaté, les députés et les sénateurs, pour la plupart, s’autorisent à disserter sur le taxi alors qu’ils n’ont pas rencontré les représentants de la profession. Ils semblent pour beaucoup d’entre eux être coupés de la réalité que vit le peuple.

La calomnie en toute impunité

Les débats et les déclarations des parlementaires font la démonstration que beaucoup de députés et de sénateurs ont une bien mauvaise opinion des taxis sans que cela ne semble fondé sur une étude ou un raisonnement rationnel. Alors même qu’ils devraient s’occuper des contrefaçons de taxis, beaucoup passent leur temps à dénigrer la profession sans apporter d’élément factuel à leurs allégations.

Mais que connaissent-ils de nos conditions de travail ? Que connaissent-ils de la longueur de nos journées de travail ? De nos contraintes ? Des vies brisées par des journées et des nuits à ne pas être chez soi, des burn-out qui se multiplient, des semaines sans dimanche, des années sans congés,…

Non, pour eux, au mieux les taxis sont archaïques, au pire nous sommes des fraudeurs et des casseurs. Voici quelques exemples de cette désinformation de « nos » élus :

  • Cyril Pellevat, sénateur Les Républicains (LR) : « nous devrions au contraire favoriser la modernisation des taxis », (sénat, 2 novembre 2016).
  • Thierry Solère, député LR et aujourd’hui porte-parole du candidat Fillon : « Je suis atterré que le Premier ministre donne le sentiment de céder devant 500 taxis qui cassent tout » ou « L’État a fonctionnarisé une profession ! », (La Tribune.fr, 29 janvier 2016).
  • Christophe Caresche, député du Parti Socialiste (PS) : « Il arrivait également que la préfecture délivre des licences pour services rendus… », (La Tribune.fr, 29 janvier 2016).
  • Michel Bouvard, sénateur LR répond à la question sur le montant de la fraude hypothétique effectué par les taxis : « À des dizaines de millions d’euros pour quelque 30 000 taxis mais on n’a pas de statistiques précises », (lejdd.fr, 30 octobre 2016).

Ils ont visiblement oublié le sujet principal ! Qui s’est spécialisé dans la fuite des capitaux et la non-participation au système de solidarité ? Qui, de l’aveu même du secrétaire d’État aux transports, a organisé une fraude massive en détournant la loi LOTI de 1982 pour contourner la loi Thévenoud ? Qui a été condamné en première instance pour UBERPOP et en appel pour avoir encouragé les VTC à pratiquer la maraude électronique ? Qui proposent un mode d’exploitation des chauffeurs digne du XIXsiècle ?

Au lieu de s’attaquer à ceux qui détournent et entravent la loi, ces élus tentent de détourner l’attention sur le taxi qui est la victime de cette déréglementation sauvage. C’est le signe d’une rupture entre la réalité de notre quotidien et les préoccupations de ceux censés nous représenter.

Des parlementaires coupés des travailleurs

Nous serions curieux de savoir combien de représentants de chauffeurs de taxis ont été reçus par les groupes parlementaires. Nous sommes prêts à parier que très peu ont pu exposer leur point de vue. Ces rencontres sont en effet indispensables pour les parlementaires soucieux de maîtriser les tenants et les aboutissants d’un sujet.

Les écrits sont importants mais le dialogue est indispensable et incontournable. Pour la CGT-Taxis, c’est très simple, le seul groupe qui nous a invité, à l’Assemblée comme au Sénat, a été le groupe GDR (Gauche démocrate et républicaine, élus du Parti Communiste en majorité). C’était déjà en 2014 lors du vote de la loi Thévenoud le seul groupe qui s’était soucié réellement des travailleurs du taxi en ayant une véritable écoute à nos problèmes. Il y a eu un véritable travail avec ce groupe, ce qui a permis de déposer des amendements, et de poser au sein de l’assemblée et du sénat les vrais problématiques du secteur.

Nous avons aussi rencontré à plusieurs reprises le député Bertrand Pancher (UDI) qui a pu ainsi prendre conscience de la situation des taxis. Il avait même été le seul élu à venir nous apporter son soutien directement place de la Porte Maillot en janvier 2016. Mais un député seul, sans le soutien de son groupe (pro plateformes), est limité dans ses actions.

Il apparaît donc clairement que les groupes parlementaires, à part le groupe GDR, sans même avoir rencontré les représentants des chauffeurs, ont choisi le camp de ceux qui animés par le profit participent à la destruction du taxi et de tout un pan des transports publics : les patrons de plateforme.

Des parlementaires très proches des patrons

Car les patrons de plateformes, qui font des VTC/LOTI de véritables contrefaçons de taxis, n’ont pas besoin de faire des manifestations pour se faire entendre. Un bon restaurant, par exemple, peut suffire en effet à attirer quelques députés influents (et influençables ?).

Cinq patrons de plateformes VTC/LOTI, qui ont parfois l’air plus craintifs de l’application des lois que des parrains de la Mafia, ont ainsi généreusement invité dans un restaurant luxueux des élus du « peuple », certainement soucieux d’être en contact avec la « réalité » ! Nous n’avons pas tout à fait la même notion du monde réel !

Cela est-il efficace ? C’est difficilement démontrable mais force est de constater qu’un de ces heureux élus gastronome, Christophe Caresche (PS), n’a pas ménagé sa peine pour déposer des amendements pros plateformes. Il était d’ailleurs intéressant de constater que certains amendements de ce député « socialiste » étaient identiques à la virgule près à ceux déposés par la députée de « l’opposition » Virginie Duby-Muller (LR). On ne pourra pas lui reprocher son sectarisme, certes, mais on s’interroge encore sur cette incroyable coïncidence…

À la CGT, nous n’avons évidemment pas la même conception de ce que devrait être le travail législatif, mais il semble que la méthode du restaurant et des amendements livrés « clefs en main » soit plus efficace que l’analyse rationnelle de la situation catastrophique du secteur. L’émission « Tout compte fait » (France 2) du 15 octobre 2016 démontrait ainsi que UBER avait envoyé une cinquantaine d’amendements prêts à être déposé aux députés. Il suffisait aux députés intéressés d’y rajouter leurs noms. C’est ce que ne se gêna pas de faire le député UDI Philippe Vigier, président du groupe UDI, qui reprit tel quel huit amendements UBER « prêt à l’emploi ».

Au sénat, ça n’est malheureusement pas mieux. Il était notamment sidérant de voir avec quelle motivation certains sénateurs ont tout fait pour éviter des contrôles aux plateformes. Nous ne citerons que le sénateur de Haute-Savoie, Cyril Pellevat (LR), qui malgré son jeune âge semble vite avoir pris les habitudes de ces prédécesseurs. Il ne semble en effet pas vraiment au courant de ce qui se passe dans les rues de nos métropoles.

Un sénateur virtuel avec le don d’ubiquité

Le dialogue avec le peuple ne devrait pas se limiter à des échanges sur Twitter en 140 signes. Ce jeune sénateur est en effet très réactif et très présent sur les réseaux sociaux mais beaucoup moins pour rencontrer les vrais acteurs de la loi qui sont en danger : les chauffeurs, quels qu’ils soient, qui sont jetés en pâture pour se partager quelques miettes.

Nous irons même jusqu’à dire que les arguments utilisés par le sénateur Pellevat sont le signe d’une très mauvaise connaissance du secteur.

Il remet ainsi en discussion le sujet de la formation des VTC issue de la loi Thévenoud (250 heures sans examen). Devons nous préciser à Monsieur Pellevat que cette mesure n’est plus en vigueur depuis plusieurs mois ?

Il n’a pas hésité pourtant à faire l’amalgame entre la formation des chauffeurs VTC, qui n’existe donc plus, et les heures de vols exigées pour les pilotes d’hélicoptères ! Il sous-entendait que la formation VTC était aussi exigeante que celle des pilotes d’hélicoptère ! Cela n’a évidemment pas de sens.

Son argumentation est également remplie de contradictions. Il feint par exemple de se soucier de la paupérisation des chauffeurs taxi et VTC/LOTI tout en prétendant que le secteur peut encore générer de l’« emploi ». Or c’est justement le nombre trop important de chauffeurs qui créé cette paupérisation ! C’est soigner le mal par le mal ! C’est incompréhensible et c’est méconnaître des situations qui ont déjà existé dans l’histoire.

Il assène également à plusieurs reprises que la loi Thévenoud a autorisé la concurrence entre taxis et LOTI, ce qui n’est ni plus ni moins qu’une invention ! Comment est-il possible d’affirmer de telle contre-vérité au sein même du Sénat ? Une telle faute, cela devrait être carton rouge !

Il faut en effet préciser que l’emploi du temps de ce sénateur n’est pas uniquement dédié à son mandat d’élu d’après sa déclaration de patrimoine. En plus de son mandat de sénateur il cumule une fonction de « responsable administratif » dans une fondation de l’UEFA, la célèbre et sulfureuse instance du football européen (5 475 francs suisses par mois). Est-ce le cumul de ces deux emplois du temps qui expliquent ces approximations et ce manque de temps pour mesurer la situation réelle du secteur ?

Malheureusement pour les taxis, cela ne s’arrête pas là car un sénateur PS veut faire des taxis les nouvelles vaches à lait des banques.

Des sénateurs proches des banques ?

Le sénateur Jean-Jacques Filleul (PS) a délicatement proposé en séance une modification de la loi Grandguillaume qui va grandement faire plaisir aux banques et beaucoup moins aux taxis : l’obligation d’accepter la carte bancaire, ce qui à notre connaissance serait une première en France. Cela va à l’encontre de l’article du code monétaire et financier qui spécifie à juste titre que seules les espèces ne peuvent être refusées.

Contrairement à tout ce que l’on peut entendre, les taxis ne sont pas contre la carte bancaire mais contre les frais qu’elles engendrent. Economiquement, les frais que génère cette obligation constituent de nouvelles charges difficilement acceptables surtout dans le contexte économique actuel. Si l’Etat a les moyens de contenir l’appétit des banques, alors pourquoi pas. Omettre ce point revient à déformer le débat.

En début d’année 2016, le ministre des Finance Monsieur Sapin était d’ailleurs parti en croisade contre les banques pour baisser les frais de ces cartes bancaires. C’est bien là le signe que c’est un véritable problème de société. Qu’en est-il aujourd’hui de cette noble croisade ? Elle est visiblement au point mort. Il semble donc plus facile d’imposer aux travailleurs du taxi d’être à la botte de la finance que de faire plier les banques.

Les taxis se retrouvent donc aujourd’hui la seule profession en France contrainte d’accepter la carte bancaire quel que soit le montant de la course. N’y a-t-il pas là une nouvelle rupture du principe d’égalité ?

Doit-on rappeler que les chauffeurs de taxis sont pour la plupart de petits indépendants qui n’ont pas les moyens de négocier les niveaux de frais des multinationales ? Nous ne remercions donc pas ce sénateur qui encore une fois ne semble pas voir pris la mesure de cette décision inégalitaire.

Il apparaît donc clairement que dans ce contexte difficile et hostile aux travailleurs, le député Grandguillaume aurait sans doute été mis en échec s’il avait déposé une proposition de loi plus réaliste donc plus offensive et radicale. L’assemblée et le sénat font donc la démonstration qu’ils ne sont que rarement à l’écoute du peuple qui l’a élu et  souvent au service de la classe dominante, patronat, banquiers… Encore une fois, ça n’est pas le lot de tous les élus et il est fort à parier que si ces parlements était rempli d’Évelyne DIDIER (sénatrice PCF qui a vaillamment soulevé les faiblesses de cette loi) ou de Danielle Simonnet (élu du Parti de Gauche à la Mairie de Paris qui a dénoncé de nombreuse fois la casse du service public qu’est le taxi) notre avenir serait différent. Car des solutions existent mais il est clair qu’elles impliquent des changements politiques fondamentaux.