Le député Grandguillaume nommé par le premier ministre suite à la mobilisation du mois de janvier dernier a présenté ses propositions (téléchargeables sur notre site). Il éveille des attentes mais aussi de la confusion par certaines prises de position floues. Quoi qu’il en soit, la CGT attend des actions rapides et concrètes de l’Etat pour rétablir la justice et le travail des taxis. Il y a urgence et le gouvernement se doit de regagner la confiance des taxis par des mesures fortes et applicables immédiatement, sinon il sera trop tard.
Questions, réflexions et critiques de la Chambre Syndicale des Cochers Chauffeurs CGT-Taxis sur vos propositions pour un plan d’accompagnement, de modernisation et de cohésion du transport public particulier de personnes
- Des pistes intéressantes
a)Vers les cyberboers ?
Les intentions de la deuxième partie de vos propositions, « Assurer le respect de la loi », sont louables. Mais compte tenu du passé, il y a un doute légitime vis-à-vis des capacités de l’Etat à faire appliquer les textes. Ce manque de confiance s’explique par l’ application partielle de la loi Thévenoud ainsi que par l’entêtement de l’Etat à ne pas écouter les organisations professionnelles de taxis et notamment la CGT qui dès 2014 alertait le député Thévenoud sur la prolifération des LOTI impulsée par les plateformes.
Ces mêmes plateformes, qui dès ce mois de janvier, et devant la volonté du gouvernement de faire enfin appliquer la loi Thévenoud, préparaient de nouvelles manipulations de leurs applications afin de tromper les contrôles qui s’annonçaient (maintenir les chauffeurs en situation de réservation virtuelle permanente et inexistante pour occuper l’espace public, plus de réservations individuelles en apparence pour les LOTI,…).
Ces manipulations ne pourront cesser que quand l’Etat utilisera les moyens de contrôles appropriés que nous réclamons depuis 2014 avec entre autre les cyberboers. Cela passera bien sûr par la modernisation des moyens de contrôles dont l’Etat dispose et, c’est le chemin vers lequel vous semblez tendre, nous attendons donc la concrétisation des ces intentions.
De même, la signalétique inamovible, une autre de nos revendications, est aussi une bonne direction. Cependant, la confiance étant rompue, il nous faudra également des engagements clairs de l’Etat à court, moyen et long terme qui nous garantissent que ces contrôles soient effectifs, efficaces et maintenus sur la durée. Il devra également être établi rapidement que les principales infractions soient réellement contrôlables (absence de réservation, maraude électronique, information de la géolocalisation et de la disponibilité aux clients, …).
De plus, il semble que certaines modifications législatives soient indispensables car les textes ne permettent pas aujourd’hui de sanctionner immédiatement les éditeurs d’applications. Il faut en effet donner la possibilité aux pouvoirs publics de fermer administrativement et donc rapidement ces applications en cas d’infractions. Il est en effet incompréhensible d’attendre deux ans une décision de justice alors que les infractions sont permanentes et caractérisées. Nous avons déjà vu en effet que les éditeurs d’applications se sont spécialisés dans le contournement des règles et il faut donc que les pouvoirs publics se donnent les moyens de faire respecter les lois de la République.
b)Répondre à la situation d’urgence
Le point quatre (4. Accompagner les acteurs en situation d’urgence et faciliter la transmission des droits par l’usage de droits non encore exploités) doit permettre de répondre aux situations d’urgences de chaque chauffeur de taxi. Nous considérons que ces proposition sont positive et vont dans le bon sens. néanmoins, nous exigeons que ces propositions aillent plus loin. Il pourra s’agir par exemple de la renégociation des prêts bancaires par l’Etat afin de basculer ces prêts vers des taux zéro. Les intérêts représentent en effet une part conséquente des charges que doivent supporter les artisans endettés. Cela serait très appréciable notamment pour les chauffeurs les plus en difficultés.
Quand aux locataires et aux salariés, nous vous avions demandé la récupération des licences non exploitées par les entreprises du taxi, en province comme à Paris, afin de les redistribuer aux chauffeurs locataires et salariés qui sont sur listes d’attentes. Cela aura également comme effet de supprimer une grosse partie des charges que doivent subir ces chauffeurs de la part d’un patronat qui n’a eu de cesse de précariser la profession sans jamais avoir eu de vision à long terme. Le patronat du taxi a d’ailleurs une lourde responsabilité dans la situation que nous vivons aujourd’hui.
Si cette proposition est bien retenue par vos soins, la CGT-Taxis y est favorable. Cependant, nous avons observé que vous l’avez toutefois quelque peu dilué en y apportant une nuance[1]. Pour nous, la chose est simple, si une licence est dormante en province ou à Paris, il faut alors simplement la redistribuer conformément à l’article L.3124-1 du code des transports. S’il y a des chauffeurs sur listes d’attentes, c’est bien qu’il y a de la demande.
Nonobstant, nous réitérons par contre notre demande non retenue de récupération des 1250 doublages (taxi parisien) afin de les redistribuer immédiatement aux chauffeurs salariés et locataires qui sont sur liste d’attente. Il est en effet incompréhensible que l’autorité de tutelle délivre l’équivalent d’une nouvelle autorisation de stationnement (ADS) à des sociétés ou à des artisans pour qu’ils exploitent des chauffeurs qui n’arrivent pas à s’en sortir alors que ces mêmes chauffeurs pourraient travailler sur ces ADS sans intermédiaires parasites et donc à moindre frais. Rien ne justifie la délivrance de ce privilège et chaque chauffeur employé est tout à fait apte à acquérir un véhicule pour exercer sans entraves. Cela serait un signal fort et nous demandons de reconsidérer cette solution.
c)Vers un système sain
La vision à long terme proposée est suffisamment rare pour être soulignée. La remise en cause de la néfaste loi n° 95-66 du 20 janvier 1995, dite « loi Pasqua », est bien accueilli par notre syndicat, bien que le chemin pour y arriver soit tortueux et nous voyons déjà poindre les défenseurs des intérêts de quelques uns au détriment de l’intérêt collectif.
C’est d’autant plus important que vous semblez vouloir prendre en compte la spoliation subie par tous les chauffeurs. Cette prépondérance du capital a en effet participé à la destruction des conditions de vie des travailleurs, que cela soit par le prix des locations ou par le règlement des crédits pour acheter l’ADS. L’acquisition de l’ADS étant souvent l’expression de la volonté des chauffeurs salariés et locataires de s’émanciper de conditions de travail indignes.
La CGT-Taxis est donc favorable à l’étude d’un système ou la finalité serait de ramener le taxi sur des bases saines, en mettant fin à la cessibilité des licences, avec bien sûr la condition sine qua non que les chauffeurs (salariés, locataires, artisans et actionnaires qui exploitent eux mêmes leurs licences) ne soient pas spoliés.
Cela peut être par l’attribution de licences récupérées comme nous l’avons vu ou par la garantie du prix d’achat pour ceux qui ont acheté l’ADS. Il conviendrait également d’envisager dans tous les cas une indemnité selon le nombre d’années d’exploitation directe.
C’est là un des moyens de construire une organisation équitable. Il ne s’agit pas de vendre ou d’enterrer le taxi, bien au contraire. Mettre fin à cette prépondérance du capital ne signifie nullement « vendre le métier ». D’ailleurs, pour la plupart d’entre nous le fait d’avoir acheté notre ADS ne nous a pas préservé de cette déréglementation sauvage ! A contrario, dans certains pays comme le Danemark ou l’Allemagne les chauffeurs de taxis ne paient pas leurs licences mais ils ont été beaucoup mieux protégés.
La CGT avait donc proposé la mise en place d’un fond de garantie afin d’arriver à cette finalité. Les modalités de financement restent bien sûr à définir mais des pistes existent : partie de la taxe sur le chiffre d’affaire reversée à ce fond, taxation des acteurs post 2009,… Une commission paritaire d’experts serait indispensable pour le montage et la gestion de ce fond. Il conviendra d’examiner rapidement les cas les plus urgents afin d’éviter des drames et l’Etat doit prendre ses responsabilités.
La sécurisation du capital pour que personne ne soit spolié, ainsi que le retour à un système d’ADS incessible et exploitée personnellement ne suffiront pas en tant que tel à rétablir l’essentiel, à savoir le travail. C’est en effet la première des revendications et celle qui nous permettra de vivre dignement. Mais nous avons constaté que certaines de vos propositions laissent entendre le contraire.
- Des zones d’ombres
a)Le postulat du modernisme
Nous n’acceptons pas le discours sous-jacent dans vos propositions[2] qui voudraient faire croire aux français que si le taxi est en difficulté aujourd’hui c’est parce qu’il n’aurait pas suivi une prétendue révolution technologique, voire que le taxi se refuserait à entrer dans la modernité[3]. Nous n’acceptons pas ce discours car il est à la fois simpliste et erroné. Nous affirmons ainsi que le taxi a toujours été un symbole de la modernité : les taxis ont été des innovateurs et des précurseurs dans bien des domaines : automobiles, téléphonie puis télécommunications, géolocalisations, véhicules propres,…
Il ne s’agit pas de dire que le taxi n’a pas de défauts, loin de là, et les Cochers Chauffeurs ont toujours été les premiers à alerter les gouvernements successifs sur les dérives du secteur. Par contre, nous pouvons aisément démontrer que les problèmes du taxi, qu’ils soient internes (statuts esclavagistes, dépendances aux TAP, prix des licences,…) ou externes (LOTI et VTC qui font ni plus ni moins que du taxi sans en supporter les mêmes contraintes) sont la conséquence d’une politique destructrice des différents gouvernements et non pas le fruit d’un refus d’une prétendue modernité.
Si le taxi en France est en danger ça n’est donc pas parce qu’il n’est pas moderne mais parce que le législateur a créé les conditions pour déréguler le marché du transport particulier de personnes. Les patrons d’applications n’ont par exemple rien inventé, ils ont juste participé à la destruction du taxi par le contournement systématique avec l’aide de la loi Novelli et LOTI de l’obligation faite aux taxis d’être titulaires d’une autorisation de stationnement pour transporter une personne à titre onéreux d’un point A à un point B avec une tarification tenant compte de la distance ainsi que du temps passé. Quelle révolution ! C’est ce que nos compteurs font depuis plus de cent ans avec des tarifs publics !
Pour preuve de notre conscience de toujours aller de l’avant, la CGT n’a eu cesse de revendiquer dès l’après guerre un standard radio universel pour tous les chauffeurs de taxis avec numéro d’appel unique. cette ancienne revendication s’est transformé depuis plusieurs années et nous avons demandé à l’Etat dès 2014 le développement d’une application taxi nationale qui aurait tout a gagné à devenir européenne voire mondiale. Qu’en est il de cet ambitieux projet moderne et avant-gardiste refusé par le député Thévenoud qui pourrait véritablement être un atout pour le taxi mondial ?
b)La confusion des sens et donc des fonctions
Certaines de vos propositions ont le défaut de maintenir la confusion sur le sens de plusieurs notions fondamentales.
De cela, il découle une absence de frontière entre le taxi et les VTC/LOTI qui restent aujourd’hui des contrefaçons de taxis. Vous semblez vouloir renforcer cette confusion en évoquant à de multiples reprises « l’harmonisation des règles », le « rapprochement » ou en regrettant des règles qui « séparent inutilement les acteurs » (page 8). Et ce qui est paradoxal et contradictoire c’est que dans la phrase suivante vous prétendez que le taxi conservera « sa spécificité » ! Comment ? Quelles sont vos garanties ? Qu’entendez vous par spécificité ? La prétendue maraude ? Depuis les années cinquante la séparation entre « maraude » et « réservation » est tout à fait artificiel. Partout en France depuis plus de soixante années, les taxis travaillent majoritairement à la commande depuis le développement du téléphone puis de la géolocalisation.
De même, le terme de « transport public », repris du code des transports, sème la confusion. Si en effet les taxis ont un tarif public, et ont le droit de stationner et circuler sur la voie publique en quête de clientèle et semblent donc légitime dans cette catégorie » public », il est incompréhensible que les VTC bénéficient de cette appellation alors qu’ils sont des transporteurs privés. Là encore la confusion prévaut.
A cela, s’ajoute la notion de réservation préalable qui n’est également pas mieux définie, au contraire même, puisque vous lui accolez le terme « numérique » (page 1), ce qui semble cautionner à vos yeux le fait qu’en réalité les VTC/LOTI ne travaillent pas en réservation mais en maraude électronique ? Cela nécessite des précisions de votre part.
Vous faites également l’impasse sur les termes « collectif » et « occasionnel » régissant pourtant les LOTI. Est-ce un oubli ou l’absence de décision forte ? Concernant un secteur qui revendiquait il y a peu la non application des textes les encadrant, nous aimerions avoir un positionnement clair et tranché de votre part sur le rôle de chacun.
Nous vous réaffirmons donc la nécessité de distinguer clairement ces activités (notamment en orientant les VTC vers ce qu’étaient la Grande Remise) ou alors, en supprimant les VTC s’ils se destinent uniquement à contourner les devoirs auxquels les conducteurs de taxis s’astreignent. Concernant les transporteurs collectifs et occasionnels (LOTI), ils n’ont bien sur rien à faire sur notre secteur du transport particulier de personnes avec des applications qui les détournent de leur objet (transport collectif et occasionnel).
c)La loi du marché ?
Vous répétez à plusieurs reprises comme une incantation que nous sommes un « secteur d’avenir » (page 1), que le « besoin est évident » (page 1), que nous, chauffeurs, avons « tous un avenir » (page 2),…
Nous comprenons votre difficulté à avoir une vision claire du secteur du fait de l’absence d’étude objective. Par contre, vous auriez dû entendre cette revendication commune à tous les acteurs un tant soit peu responsables qui est de réguler le nombre de véhicules (taxis ou autres). Sans cela, et l’histoire nous le démontre, le secteur tout entier court à sa perte.
Le préfet Chassigneux, déjà dans un rôle similaire au votre, avait reconnu dans son rapport qu’une offre de taxi abondante ne générait pas de demandes supplémentaires (exemple des heures creuses, page 9 du Rapport Chassigneux, 2008).
Or cette donnée du nombre d’acteurs, même si elle n’est pas la seule, reste fondamentale car elle joue un rôle prépondérant dans l’équilibre économique du secteur. Aujourd’hui, les chauffeurs de taxis sont contraints à l’allongement des journées de travail au delà du raisonnable, et tout porte à croire que les conducteurs VTC/LOTI font de même. Nous sommes bien loin de l’article 24 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui clamait haut et fort que « Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail ».
Nous vous demandons donc de prendre en considération cet aspect qui seul évitera la paupérisation des conducteurs quels qu’ils soient. Vous n’aurez pas de service de transport de qualité sans vous soucier des femmes et des hommes qui sont derrière le volant. C’ est également une question de choix de société et de sécurité pour nos passagers.
Vous avez donc suscité des attentes mais aussi de la confusion par certaines prises de position floues. Quoi qu’il en soit, nous attendons des actions rapides et concrètes de l’Etat pour rétablir la justice et le travail des taxis. Il y a urgence comme vous le savez désormais et le gouvernement se doit de regagner notre confiance par des mesures fortes et applicables immédiatement, sinon il sera trop tard.
Nous nous sommes limités aux points principaux et nous regrettons l’absence de débat sur le forfait dans la mesure ou la majorité des organisations professionnelles est contre. Ce forfait mis en place depuis quelques jours va de nouveau nous affaiblir. Cette absence de dialogue sur un sujet aussi important n’est pas acceptable dans une démocratie. Nous vous demandons d’intervenir de nouveau sur ce sujet qui encore une fois fait la quasi unanimité contre lui.
[1] Page 6 : « (en faisant la part entre la non exploitation forcée -absence de la demande- et la non exploitation volontaire par rétention à des fins spéculatives) ».
[2] Page 1 : « les conditions traditionnelles […]s’en trouvent bouleversées »; page 3 : « un mode nouveau du métier émerge, peut-être au détriment d’un mode plus traditionnel » ; page 1 : « les conditions traditionnelles […]s’en trouvent bouleversées »
[3] Page 1 : « Plan de […] modernisation« , « les réservations numériques […] viennent bouleverser le métier de taxi »; page 4 : « des mesures de modernisations ».