Ubérisation ? Non, dites paupérisation !

Le mythe ou plutôt le mensonge développé par de nombreux médias ces dernières années sur la capacité des plateformes numériques à créer de l’emploi s’effrite un peu plus chaque jour. Ce qui pourrait être comique si la situation n’était pas aussi tragique, c’est que ce sont ces mêmes médias qui nous vendaient UBER comme le nouvel eldorado qui aujourd’hui semblent ouvrir les yeux. Ainsi, la chaîne du groupe Bolloré C8 vient de mettre à mal le prétendu modèle UBER dans sa nouvelle émission d’investigation FOCUS (diffusé le mercredi 21 septembre dernier).

Ce qui ressort tout d’abord de cette émission, c’est ce que dénoncent la CGT-Taxis et le STM depuis des années, à savoir que ces plateformes produisent une misère et une précarité inacceptable et indigne. Le journaliste qui s’est mis dans les conditions d’un chauffeur VTC/LOTI montre dans ce reportage qu’il n’atteint même pas les 4€ de l’heure ! Notre déjà ancien ministre des Finances Macron, qui ne ratait pas une occasion de vanter en bon petit soldat du libéralisme les mérites d’UBER, accepterait-il de travailler à ce prix ? Pas sûr…

Cette émission fait donc la démonstration que la déréglementation du transport particulier de personne a rompu un équilibre économique déjà précaire avant l’arrivée des VTC. En effet, les taxis et les grandes remises qui cohabitaient avant la déréglementation de 2009, commencée par le gouvernement Fillon, devaient déjà cumuler les heures pour pouvoir arriver à s’en sortir. Les semaines de soixante voire soixante-dix heures sont malheureusement courantes dans le taxi afin de faire face aux différentes charges d’exploitations. Les médias, mais surtout nos gouvernants, ont nié cette réalité économique pourtant prégnante. On a assisté au retour des clichés sur le taxi qui serait une prétendue profession de privilégiés. Ces clichés ne sont bien sûr fondés sur aucune réalité scientifique. Cette rhétorique visant à présenter les taxis comme des nantis servant bien sûr les desseins de ceux qui souhaitaient s’accaparer ce marché sans en respecter les règles. C’est bien connu, quand on veut se débarrasser de son chien, on prétend qu’il a la rage !

La réalité économique du taxi est en effet toute autre, et c’est un manquement grave de nos responsables politiques depuis 2009 de ne pas s’en être aperçu. Accepter de mettre à mal le taxi, c’est casser une des rares professions qui a la particularité depuis des  dizaines d’années d’intégrer socialement et économiquement les populations les plus fragiles : travailleurs en ruptures professionnelles, travailleurs immigrés, jeunes des quartiers défavorisés… Les parisiens aiment à rappeler le souvenir des Russes qui étaient nombreux dans le taxi entre les deux guerres, mais il y a eu aussi les rapatriés d’Algérie, les boat people d’Asie du Sud-est et les différentes vagues d’immigrés auquel le taxi a permis au prix d’un dur labeur de prendre leur place dans la société avec dignité.

Mais ce n’est pas tout car ce reportage confirme également que les VTC/LOTI ne travaillent pas selon les règles qui leur sont imposées par la législation, ce que dénoncent sans cesse les organisations professionnelles de taxis qui sont les premières victimes de cette anarchie. C’est notamment la règle essentielle qui dit que ces véhicules doivent travailler sur réservation. Or, cette enquête démontre que les VTC/LOTI usent et abusent de la « maraude électronique », à savoir que ces véhicules non réservés se positionnent sur la voie publique en attente de clientèle ce qui est formellement interdit. C’est notamment très clair quand le journaliste-chauffeur converse avec un collègue qui lui confirme commencer chaque jour dans l’enceinte de l’aéroport d’Orly sans être réservé. Est-il normal de laisser ces contrefaçons de taxi agir en dehors de tout cadre légal ? C’est tout simplement irresponsable !

A qui profite alors le crime ? Nous l’avons vu, certainement pas aux chauffeurs de VTC/LOTI qui sont exploités par des plateformes sans vergogne, qui ne prennent aucun risque puisqu’elles n’emploient pas les chauffeurs. Des plateformes pour certaines d’entre elles qui non seulement ne sont pas des employeurs responsables donc, mais, en plus, qui profitent du système capitaliste supranational pour ne pas participer au système de solidarité des états.

Nous sommes donc face à deux ou trois grands prédateurs qui tentent de s’approprier un marché sans vouloir respecter ses lois, en paupérisant ses acteurs historiques que sont les taxis, tout en exploitant sans scrupule une main-d’œuvre corvéable et taillable à merci. Un gouvernement responsable et des hommes politiques dignes de ce nom, c’est-à-dire soucieux des intérêts du peuple et non pas des intérêts de quelques nantis, devraient mettre fin immédiatement à cette mascarade.

Karim ASNOUN, secrétaire CSCC CGT-Taxis

Rachid BOUDJEMA, secrétaire général du STM