Une loi d’orientation des mobilités (LOM) sous influence des plateformes ?

Après la destruction du code du travail puis du statut cheminot et avant de s’attaquer à notre système de retraite, le gouvernement au service de la finance et du patronat s’attaque de nouveau aux transports.

Alors que le transport particulier de personne a connu deux lois en trois ans (2014 et 2016) et alors mêmes que des articles de ces lois sont toujours en attente d’application, la ministre des Transports montre un empressement suspect pour de nouveau déséquilibrer un secteur déjà fragilisé.

La forte influence des plateformes prédatrices auprès du Ministère des Transports constatée notamment lors des assises des mobilités semble se confirmer.

Suite à la présentation de quelques articles de la LOM (disponible en bas de page), choisis par le ministère qui n’a pas souhaité nous communiqué tous les articles de cette loi, voici la réaction de la CGT-Taxis.

Nous dénonçons dans un premier temps la méthode de travail de ce gouvernement puisque le Ministère semble inviter les organisations taxis uniquement pour la forme.

Nous soulignons ensuite la surenchère législative de ce gouvernement visant à casser les lois Thévenoud et Grandguillaume à peine sortie de l’Assemblée.

Enfin, nous contestons les mesures présentées qui ne sont ni plus ni moins qu’une nouvelle libéralisation du secteur visant à augmenter les profits de quelque uns au détriment de l’intérêt général.

Madame la Ministre,

La Chambre syndicale des Cochers Chauffeurs CGT-Taxis tient tout d’abord à déplorer la méthode de « travail » de votre ministère.

À quand un véritable dialogue avec votre ministère ?

Notre organisation ne peut accepter votre autoritarisme et la relation à sens unique que vous imposez. Vous nous sollicitez pour venir assister à des réunions d’« informations ». Nous ne pouvons nous satisfaire de ces réunions à sens unique dont le seul but semble être de légitimer votre marche forcée vers une nouvelle déréglementation.

Il apparaît évident en effet que d’une part vous n’entendez pas le message des organisations syndicales de chauffeurs de taxis, et d’autre part, que vous n’apportez pas de réponses à nos nombreuses interrogations.

Nous attendons toujours, par exemple, les réponses de votre ministère sur les interrogations soulevées par la CGT-Taxis le 8 décembre 2017 sur vos capacités à contrôler la maraude électronique. Vous vous étiez engagée, Madame la Ministre, lors de cette réunion, à nous répondre. Nous vous avons ensuite porté cette même question par écrit dans un courrier du 21 décembre 2017 à laquelle vous n’avez toujours pas daigné répondre.

Vous ne pouvez pas, Madame la Ministre, tracer la route de ce que seront les transports des prochaines années sans tenir compte des positions et des revendications issues des travailleurs du secteur. Cela serait une faute de ne pas vous soucier de l’équilibre économique du secteur, un équilibre grandement mis à mal par les plateformes prédatrices qui semblent bénéficier de la part votre gouvernement d’une sorte de bienveillance.

Vous ne pouvez, Madame la Ministre, être uniquement à l’écoute des positions des patrons de plateformes qui ne représentent que des intérêts privés mais qui semblent avoir pourtant une grande influence sur l’écriture de la loi d’orientation des mobilités (LOM).

Lors des assises de la mobilité, la CGT-Taxis a dénoncé le fait que l’atelier où nous nous étions invités était présidé par un actionnaire de Heetch ! Nous avons découvert ce jour-là qu’une société condamnée au pénal pour avoir voulu imposer un système de transport rémunéré effectué par des particuliers pouvait avoir un grand crédit à vos yeux puisque vous lui avez confié cette mission d’importance. La présence des patrons de plateforme VTC le 8 décembre dernier au ministère, dont les représentants de Uber plusieurs fois condamnés en France, renforce cette impression.

Nous vous demandons donc, Madame la Ministre, d’instaurer un véritable dialogue avec nos organisations et de ne pas uniquement tenir des réunions formelles où jusqu’à présent nos questions et nos positions ne sont jamais prises en compte.

Nous vous demandons également une énième fois de répondre à ces deux questions essentielles auxquelles ni vous ni vos services n’avez apporté de réponses :

•             Est-ce que vos services vont être en mesure de contrôler en temps réels les situations de maraude électronique des VTC sur la voie publique ?

•             Qu’est ce qui justifie aujourd’hui le statut VTC, qu’est ce qui le distingue du taxi ? Sur le terrain il apparait clairement que les VTC effectuent aujourd’hui du taxi sans en subir les contraintes.

Pourquoi alimenter l’inflation législative alors que des lois récentes sont inappliquées ?

Nous ne comprenons pas votre empressement à mettre en œuvre une nouvelle loi concernant notre secteur alors que des lois fraîchement promulguées comme la loi Thévenoud et la loi Grandguillaume sont toujours en attente de décret d’application.

Il conviendrait donc en priorité pour votre gouvernement d’appliquer les textes existants, ce qui n’est pas le cas actuellement. Il s’agit par exemple de la répression de la maraude électronique des VTC et de la prise en compte de la responsabilité des plateformes qui sont toujours en attente presque deux ans après le vote de la loi Grandguillaume. Nous vous demandons donc de surseoir à cette inflation législative dans laquelle la LOM s’inscrit.

Concernant la LOM ou en tout cas les quelques articles que vous avez bien voulu porter à notre connaissance, nous constatons que nos craintes issues des assises de la mobilité sur la forte influence des plateformes se concrétisent.

Introduction de transporteurs non professionnels (ex-article 66 de la LOM)

En effet, conformément aux desiderata exprimés dans la presse par Monsieur Yann Martel, actionnaire de Heetch et auxquels vous avez confié la présidence d’un atelier lors des assises de la mobilité, vous souhaitez réintroduire le transport rémunéré effectué par des particuliers. Comme cela a été répété à plusieurs reprises par toutes les organisations professionnelles du taxi, cela n’est pas acceptable.

Tout d’abord, il existe suffisamment (trop ?) de modes de transports dans la législation française actuelle pour palier à tous les besoins de la population. Ensuite, vous ne pouvez pas mettre en concurrence des professionnels du transport avec des particuliers qui n’auraient aucune règle à respecter.

Pour toutes ces raisons la CGT-Taxis vous demande d’abandonner cette mesure et de prendre en compte les travaux effectués en 2014 sur ce sujet dans le cadre de la médiation Thévenoud.

De manière plus générale, il convient pour la CGT-Taxis que votre gouvernement cesse les fermetures des lignes publiques dans les territoires (train, bus,…) qui participent à un accès égalitaire aux transports pour toute la population. Le transport particulier de personnes ne peut se substituer à la destruction des transports collectifs publics. Les taxis font partis de cette politique de mobilité et pour les populations les plus fragiles il est de la responsabilité de l’Etat de participer à la prise en charge des transports, taxi y compris, comme cela se fait trop rarement (chèque emplois service,…).

Légitimer des pratiques illégales (article 64 de la LOM)

Nous souhaitons également réagir sur votre volonté de donner un cadre légal à l’activité de « tuk-tuk ». Comme pour les LOTI, les taxis subissent une fois de plus la politique du fait accompli puisqu’il s’agit là clairement de transporteurs illégaux que vous souhaitez légaliser.

Or, ces acteurs démontrent chaque jour un peu plus leur volonté affichée d’enfreindre la législation en place. Nous ne comptons plus les situations de stationnement illicite en attente de clientèle de ces véhicules ni de racolage sur la voie publique.

Une fois encore, l’État ne semble pas en mesure d’appliquer les textes existants. La CGT-Taxis ne comprend donc pas votre volonté de légitimer des acteurs hors la loi. Encore une fois vous avez déjà du mal à faire appliquer les lois récentes sur le transport de personnes, il n’est donc pas cohérent de vouloir créer encore de nouvelles catégories de transport, qui plus est pour des acteurs qui se distinguent par le non-respect quotidien des lois et de nombreuses affaires d’escroquerie avérées de touristes.

Nous vous demandons encore une fois de mettre avant tout en application les textes existants afin de rétablir l’équilibre économique indispensable à la fois à la qualité de service et à la survie des acteurs du secteur.

Transmission des données

Concernant la transmission des données, nous vous rappelons que la CGT-Taxis dès 2014 demandait à l’État français l’inscription obligatoire des VTC dans l’open data à des fins de contrôles. Il semble malheureusement que dans votre projet de texte les autorités de contrôle n’auront pas accès aux données, notamment celles des plates-formes VTC (localisation des véhicules au moment de la « réservation ») qui permettraient pourtant d’éradiquer la maraude électronique des VTC. Pour la CGT-Taxis, ce sont donc les autorités qui devraient avoir un accès prioritaire à ces données afin de contrôler et de sanctionner en temps réel les pratiques des chauffeurs VTC et des plateformes VTC.

Votre projet semble concerner avant tout la collecte de données à des fins commerciales dont les contours restent très flous. Or, les acteurs qui auront accès à ces données, sont pour beaucoup d’entre eux partie prenante dans l’économie du transport et souhaitent s’approprier le marché du taxi. Pensez-vous que Google qui investit des milliards dans la voiture autonome donnera aux taxis les moyens d’être visibles pour les utilisateurs de services numériques ? N’y a-t-il pas un risque que ces données exploitées par ces sociétés prédatrices (Apple, Google,…) se retournent contre le taxi ?

Pour la Chambre Syndicale des Cochers Chauffeurs CGT-Taxis, il est de votre responsabilité Madame la Ministre de créer une application TAXI nationale voire européenne pour offrir une visibilité aux transporteurs publics que sont les taxis.

Nous vous rappelons que les taxis sont les seuls transporteurs particuliers de personnes à fonctionner avec un tarif public fixé par l’État, que nous sommes les seuls à avoir des contraintes de maillage du territoire, des contraintes de présence sur le terrain, et, de manière générale, que nous sommes directement sous la tutelle des autorités locales au service de l’intérêt commun.

À ce titre, la mise en comparaison avec des transporteurs n’ayant pas les mêmes contraintes que les taxis n’aurait pas de sens et serait une distorsion de concurrence flagrante.

Pour conclure, il apparaît que votre empressement ne peut pas servir les intérêts du plus grand nombre. Il convient de résoudre les problématiques non résolues à ce jour issues de la loi 2009-888 du 22 juillet 2009. Il y a également urgence à mettre en œuvre les mesures de la loi 2016-1920 du 29 décembre 2016. Cela ne sera possible qu’avec un véritable travail commun et non par la politique du fait accompli que vous imposez.

Dans l’attente de vous lire, veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de nos sentiments distingués.

Pour la CSCC CGT-Taxis,

Un secrétaire : K. ASNOUN